570. Quatrième Mémorable. Un jour je conversais avec un Esprit novice qui, lorsqu'il était dans le Monde, avait beaucoup médité sur le Ciel et sur l'Enfer ; par Esprits novices sont entendus les hommes nouvellement décédés, qui, parce qu'ils sont alors hommes spirituels, sont appelés Esprits. Celui-ci, dès qu'il fut entré dans le Monde spirituel, commença à méditer, comme auparavant, sur le Ciel et sur l'Enfer ; et il se sentait dans l'allégresse, quand c'était sur le Ciel, et dans la tristesse quand c'était sur l'Enfer. Lorsqu'il eut remarqué qu'il était dans le Monde spirituel, il demanda aussitôt où était le Ciel et où était l'Enfer, et aussi ce que c'était que le Ciel et l'Enfer, et quel était l'un et l'autre ; et on lui répondit :
« Le Ciel est au-dessus de ta Tête, et l'Enfer est sous tes pieds; car maintenant tu es dans le Monde des esprits, qui tient le milieu entre le Ciel et l'Enfer ; mais ce que c'est que le Ciel et quel il est, et ce que c'est que l'Enfer et quel il est, nous ne pouvons te le dire en peu de mots. »
Et alors, comme il brûlait du désir de connaître, il se jeta à genoux, et il pria Dieu avec ferveur, afin d'être instruit. Et voici, un Ange apparut à sa droite, le releva et lui dit: Tu as supplié afin d'être instruit sur le Ciel et sur l'Enfer ; cherche et apprends ce que c'est que le plaisir, et tu connaîtras. »
Et après avoir ainsi parlé, l'Ange fut enlevé. Alors l'esprit novice dit en lui-même :
« Que signifient ces paroles : Cherche et apprends ce que c'est que le plaisir et tu connaîtras ce que c'est que le ciel et ce que c'est que l'Enfer, et quels ils sont ? »
Peu après, quittant ce lieu, il alla de tous côtés ; et, s'adressant à ceux qu'il rencontrait, il leur disait :
« Dites-moi, je vous prie, s'il vous plaît, ce que c'est que le plaisir. »
Et les uns disaient :
« Quelle question nous fais-tu là? Qui ignore ce que c'est que le Plaisir? N'est-ce pas la joie et l'allégresse? Un plaisir est donc un plaisir, l'un aussi bien que l'autre, nous ne connaissons point de différence, »
D'autres disaient :
« Le Plaisir est le rire du mental, car lorsque le mental rit, la face est gaie, le langage joyeux, le geste plaisant, et l'homme tout entier dans le plaisir ». Mais d'autres disaient:
« Le Plaisir n'est autre chose que d'être en festin, et de manger des mets délicats, de boire et de s'enivrer avec un vin généreux, et alors de causer de choses diverses, et surtout des jeux de Vénus et de Cupidon. »
Après avoir entendu ces paroles, l'Esprit novice indigné se dit en lui-même :
« Ces réponses sont grossières et inciviles ; ces Plaisirs ne sont ni le Ciel ni l'Enfer ; que ne puis-je trouver des sages ! »
Et il quitta ces Esprits, et alla à la recherche d'Esprits sages; et alors il fut vu par un Esprit angélique, qui lui dit:
« Je perçois que tu es embrasé du désir de savoir ce qui est l'Universel du Ciel et l'Universel de l'Enfer ; et comme cet universel est le Plaisir, je le conduirai sur une Colline, où s'assemblent chaque jour ceux qui scrutent les Effets, ceux qui recherchent les Causes, et ceux qui examinent les Fins ; là, ceux qui scrutent les Effets sont appelés les Esprits des sciences, et abstractivement les Sciences ; ceux qui recherchent les Causes sont appelés les Esprits de l'intelligence, et abstractivement les Intelligences, et ceux qui examinent les Fins sont appelés les Esprits de la sagesse, et abstractivement les Sagesses ; directement au-dessus d'eux, dans le Ciel, sont les Anges qui d'après les fins voient les causes, et d'après les causes les effets ; c'est d'après ces Anges que ces trois Assemblées ont l'illustration. »
Alors, prenant l'Esprit novice par la main, il le conduisit sur la Colline, et vers l'Assemblée composée de ceux qui examinent les Fins, et sont appelés les Sagesses. L'Esprit novice leur dit :
« Pardonnez-moi d'être monté vers vous ; en voici la raison : Dès ma jeunesse j'ai médité sur le Ciel et sur l'Enfer, et je suis venu depuis peu dans ce Monde ; et quelques-uns, qui alors me furent associés, m'ont dit qu'ici le Ciel est au-dessus de ma tête, et l'Enfer sous mes pieds ; mais ils ne m'ont pas dit ce que c'est que le Ciel et l'Enfer, ni quels ils sont; c'est pourquoi, étant devenu inquiet par suite de ma pensée constante sur ce sujet, j'ai prié Dieu ; et alors un Ange s'est présenté et m'a dit : Cherche et apprends ce que c'est que le Plaisir, et tu connaîtras ; j'ai cherché, mais en vain jusqu'à présent; je demande donc que vous m'appreniez, si cela vous plaît, ce que c'est que le Plaisir. »
A cette demande les Sagesses répondirent:
« Le Plaisir est le tout de la vie pour tous dans le Ciel, et le tout de la vie pour tous dans l'Enfer ; pour ceux qui sont dans le Ciel, c'est un Plaisir du bien et du vrai, mais pour ceux qui sont dans l'Enfer, c'est un Plaisir du mal et du faux ; car tout Plaisir appartient à l'amour, et l'Amour est l'Être de la vie de l'homme ; c'est pourquoi, de même que l'homme est homme selon la qualité de son Amour, de même il est homme selon la qualité de son Plaisir; l'activité de l'amour fait, le sens du plaisir ; son activité dansle Ciel est avec la sagesse, et son activité dans l'Enfer est avec la folie, l'une et l'autre fixe le Plaisir dans ses sujets; or, les Cieux et les Enfers sont dans des Plaisirs opposés, les Cieux dans l'Amour du bien et par suite dans le Plaisir de bien faire, et les Enfers dans l'amour du mal et par suite dans le Plaisir de mal faire; si donc tu connais ce que c'est que le Plaisir tu connaîtras ce que c'est que le Ciel et l'Enfer, et quel est l'un et l'autre. Mais cherche, et apprends encore ce que c'est que le Plaisir par ceux qui recherchent les Causes et qui sont appelés les Intelligences; ils sont ici sur la droite. »
Et il se retira, et il y alla, et il dit la cause de son arrivée, et il les pria de lui apprendre ce que c'est que le plaisir ; et eux, ravis de sa question, lui dirent :
« C'est une vérité que celui qui connaît le Plaisir connaît ce que c'est que le Ciel et l'Enfer, et quel est l'un et l'autre ; la Volonté, d'après laquelle l'homme est homme, n'est pas même excitée un seul instant, si ce n'est par le Plaisir ; car la Volonté, considérée en elle même, n'est autre chose que l'affection de quelque amour, ainsi d'un plaisir, puisque ce qui fait vouloir est quelque chose d'agréable et par conséquent qui plaît; et comme la Volonté pousse l'Entendement à penser, il n'existe pas la plus petite chose de la pensée, si ce n'est par l'influx du plaisir de la volonté ; s'il en est ainsi, c'est parce que le Seigneur met en action par Lui-Même au moyen de son influx toutes les choses de l'âme, et toutes celles du mental chez les Anges, et chez les Esprits, et chez les hommes ; et il les met en action par l'influx de l'amour et de la sagesse, et cet influx est l'activité même, d'où procède tout plaisir, qui dans son origine est appelé béatitude, bonheur et félicité, et dans sa dérivation, plaisir, charme et agrément, et dans un sens universel, bien : mais les Esprits de l'Enfer changent chez eux toutes choses, ainsi le Bien en Mal, et le Vrai en Faux, le Plaisir néanmoins restant continuellement, car sans la permanence du Plaisir ils n'auraient point de Volonté ni de Sensation, ainsi point de vie ; par là ou voit clairement ce que c'est que le Plaisir de l'Enfer, quel il est et d'où if vient, et ce que c'est que le Plaisir du Ciel, quel il est et d'où il vient. »
Après avoir entendu ces explications, il fut conduit vers la Troisième Assemblée, où étaient ceux qui scrutent les Effets, et qui sont appelés les Sciences ; et ceux-ci lui dirent ;
« Descends vers la Terre inférieure, et monte vers la Terre supérieure, tu y percevras et sentiras les plaisirs et du Ciel et de l'Enfer. »
Mais voici, alors à une certaine distance d'eux s'ouvrit la terre, et par l'ouverture montèrent trois Diables qui paraissaient en feu d'après le plaisir de leur amour, et comme les Anges consociés avec l'Esprit novice percevaient que ces trois diables étaient montés de l'Enfer d'après une Prévision Divine, ils leur crièrent :
« N'approchez pas plus près ; mais du lieu où vous êtes, racontez-nous quelque chose de vos Plaisirs. »
Et ils répondirent :
« Sachez que chacun, qu'il soit appelé bon ou méchant, est dans son Plaisir; celui qui est appelé Bon, dans le sien ; et celui qui est appelé Méchant, dans le sien; »
et on leur demanda:
« Qu'est-ce que votre Plaisir? »
Ils dirent que c'était le Plaisir de commettre scortation, de se venger, de voler, de blasphémer ; et l'on demanda de nouveau :
« Quels sont vos plaisirs ? »
Ils dirent :
« Ils sont sentis par les autres comme des puanteurs d'excréments et comme des infections de cadavres, et comme des odeurs d'urines croupies. »
Et l'on demanda:
« Ce sont donc là des choses agréables pour vous? »
ils répondirent:
« Très-agréables. »
Et on leur dit :
« Alors vous êtes comme les bêtes immondes qui vivent dans de pareilles ordures. »
Et ils répondirent:
« Si nous le sommes, nous le sommes ; mais ces odeurs sont les délices de numéros narines. »
Et on leur demanda :
« Qu'avez- vous encore à raconter? »
Ils dirent :
« Il est permis à chacun de nous d'être dans son Plaisir, même le plus immonde, ainsi qu'on l'appelle, pourvu qu'il n'infeste ni les bons Esprits ni les Anges ; mais comme d'après notre plaisir nous n'avons pu faire autrement que de les infester, nous avons été jetés dans des cachots, où nous souffrons cruellement ; être privé et retiré de numéros Plaisirs dans ces cachots, c'est ce qui est appelé le tourment de l'Enfer ; c'est aussi une douleur intérieure.
« Et on leur demanda :
« Pourquoi avez-vous infesté les bons? »
Ils dirent:
« Nous n'avons pu faire autrement ; c'est comme une fureur qui s'empare de nous, quand nous voyons un Ange, et que nous sentons la Sphère Divine du Seigneur autour de lui. »
A cette réponse nous dîmes:
« Alors vous êtes aussi comme des bêtes féroces. »
Et peu après, quand ces diables virent l'Esprit novice avec les Anges, ils furent saisis d'une fureur qui apparut comme le Feu de la haine ; c'est pourquoi, de peur qu'ils ne causassent du dommage, ils furent replongés dans l'Enfer. Ensuite apparurent des Anges qui d'après les fins voyaient les causes, et par les causes les effets, et qui étaient dans le Ciel au-dessus de ces trois Assemblées, et ils furent vus dans une lumière éclatante, qui, se développant par des sinuosités en spirale, porta avec elle une Guirlande de fleurs en forme ronde, et la posa sur la Tête de l'Esprit novice ; et alors de cette lumière sortit une voix qui lui dit:
« Cette Couronne de Laurier t'est donnée, parce que tu as, dès ta jeunesse, médité sur le Ciel et sur l'Enfer. »